Dalton n’est pas son vrai nom, mais reste collé à l’image de ce promoteur culturel togolais pour deux raisons principales. Tout part de sa bande dans laquelle il jouait bien le rôle de leader qu’incarnait Joe, l’ainé des frères Dalton du dessin animé Lucky Luke. Ce groupe fut baptisé de la fratrie du film d’animation à cause de leurs caractéristiques ressemblantes.
Ce nom s’est imposé à ce jeune togolais pour matérialiser tout l’amour à la culture de son pays. Fondateur et promoteur de l’espace culturel, La Case des Dalton, cette personnalité n’est nul autre que NOUWAVI Kokou d’Alexandre.
La route vers l’art et la culture
Issu d’une « famille d’intellectuels togolais », Kokou d’Alexandre ne partageait pas le même amour pour les études scolaires que ses proches. Cependant, il décrocha son BAC G3 au lycée technique d’Adidogomé en 2002 avant de partir chercher sa vraie passion « dans la rue ». Cette quête l’amena inlassablement vers l’Hôtel du Golfe à Lomé et plus précisément au marché des arts. C’est là qu’il fut épris de ces figures pittoresques avec qui il file jusqu’aujourd’hui le parfait amour.
Ayant trouvé sa vraie passion puisée de son enfance passée dans les groupes de théâtre et ballets, Kokou d’Alexandre se jeta corps et âme dans la vente de ces objets d’art dans la rue de l’Hôtel du Golfe, tout en utilisant son charme dans le métier pour faire le rabatteur des clients (touristes et autres) vers le marché des arts. Deux années passées dans cet univers lui donnèrent la soif de découvrir les origines de l’art et ses diversités. Cette quête l’amena à Ouagadougou au Burkina-Faso en 2004, sur le dos de ses propres économies.
Au bout de trois mois, d’Alexandre revint à Lomé après avoir compris et « épouser totalement l’art », nous confie-t-il. Il continua la vente des objets d’art, mais cette fois en élevant le niveau de l’activité pour en faire de l’import-export. Le jeune artiste a commencé par exporter l’art togolais notamment les jeux de société notamment awalé et autres, fabriqués en bois de teck et Ébène, vers le Burkina et le Niger. De là, il ramenait des objets, colliers en bronze, peaux de chameau entre autres, qu’il revendait au Togo.
L’exercice de cette passion permit à Kokou d’Alexandre de tisser de nouvelles amitiés dans la haute sphère, dont par exemple l’attaché culturel de l’ambassade de France au Togo et bien d’autres expatriés rencontrés à l’Institut français. C’est d’ailleurs avec ces derniers qu’est formé le groupe qui sera surnommé Frères Dalton. Les nouveaux amis de Kokou lui permirent également d’élargir son horizon culturel à travers les stages de formation dans le domaine qu’ils lui suggéraient et parfois lui offraient.
Dans la vie de tous les jours, l’artiste et ses amis s’adonnaient à différentes activités culturelles, folkloriques, danses et autres dans différents lieux. Fort de ces périples dans la capitale et ailleurs, Kokou d’Alexandre eut l’idée de créer un espace qui sera le sanctuaire de leurs activités. C’est ainsi qu’il fonda l’espace culturel Case des Dalton en 2008, naturellement avec le soutien de ses amis. Tout ce parcours a permis à NOUWAVI Kokou d’ajouter plusieurs cordes à son arc, artiste peintre, collectionneur d’antiquités (objets d’arts, photos), archiviste, guide touristique, fondateur et promoteur d’un espace culturel.
Immersion dans la Case des Dalton
Kokou d’Alexandre présente la Case des Dalton dédiée à la culture comme un Village en ville. Situé dans le quartier Tokoin hôpital à Lomé, ce Temple de la diversité culturelle porte un nom qui a deux composantes : la case, qui représente la culture africaine et Dalton qui rappelle la « bande à Kokou ». Le nom Case n’est pas un hasard. Il reflète véritablement la culture africaine que l’artiste découvre à travers ses voyages sur le continent.
Après avoir franchi la guerite, tout visiteur est accueilli par une statuette à l’image d’une jeune fille qui offre de l’eau au visiteur : signe de l’hospitalité africaine. Ensuite, votre installation et balade au village de Kokou sont rythmées par le regard de divers masques qui ornent les différents murs de la Case. Evidemment, ces lampions dans le décor rappellent à tout visiteur l’éclairage des maisons et marchés au village, la nuit. La Case des Dalton, c’est aussi un lieu de récréation où l’on peut déguster des mets, spécialité togolaise.
Le temple togolais de la diversité culturelle
La Case des Dalton est un espace ouvert aux évènements culturels : les danses traditionnelles, contemporaines, le théâtre, la manifestation des groupes folkloriques et autres. Ce lieu est l’un des rares espaces typiquement togolais où les artistes qui veulent valoriser la culture du pays viennent s’exprimer. Il a servi de cadre d’envol à plusieurs artistes et groupes connus au Togo et à l’international. C’est le cas du groupe Arka’n Asrafokor qui fait un mélange de percussion et de métal. Ce groupe fait aujourd’hui des tournées dans le monde entier. Aussi, le groupe Nana Benz qui a organisé son tout premier concert dans la Case. D’autres groupes moins connus sont aussi des produits de l’espace.
Également, des artistes solo ont affûté leurs armes dans ce centre, notamment le slameur KAPORAL WISDOM, le slameur conteur MENTEUR AMBULANT, puisque la Case des Dalton est la première structure à créer une scène slam à Lomé, après l’Institut Français. D’autres artistes de renom prestent sur la scène de la Case, notamment Elom 20ce, Kezita, Eric Mc, Blakiti. L’espace a, en sus, prêté son cadre au tournage de clips vidéo de plusieurs artistes, notamment la Diva Afia Mala avec son clip MIDJAE, tourné en 2023, le groupe Aka’n, Akoua Narou des États-Unis, Yves Le Bon. Des artistes de pays voisins comme le Bénin, le Burkina, le Mali, viennent s’exprimer dans la Case.
En outre, l’espace participe à la promotion de la culture africaine en général et togolaise en particulier, à travers l’organisation de marchés artisanaux autour de l’art togolais, le festival AFRICA and REGAE VIBES qui promeut la musique africaine.
Une valeur reconnue et sollicitée
Les talents de l’artiste sont régulièrement sollicités au Togo et au-delà des frontières nationales. Le Palais de Lomé a beaucoup collaboré avec Kokou d’Alexandre et a sollicité ses livres historiques sur le Togo et ses archives photos. L’Institut français fait également recours à lui ainsi que le festival FESPACO.
Les talents de promoteur culturel et de directeur artistique d’Alexandre sont également sollicités par des festivals comme Ital Fest (Togo de dzi), Tolérance Zéro à Cotonou, Rendez-vous chez nous, FA’ ARTS. Aujourd’hui, Kokou d’Alexandre voyage toujours vers le Burkina, non plus pour vendre des objets d’art, mais participer à des festivals, Faso Jeune, Jazz à Ouaga et tout évènement artistique pour lequel il est sollicité.
En tant que guide touristique, Kokou d’Alexandre organise également des sorties de découvertes touristiques dans tout le Togo, sur des circuits qu’il a lui-même formé et qu’il propose aux touristes. Dans ce sens, ses connaissances et archives ont été particulièrement sollicitées par Palais de Lomé et l’école EAMAU sur un projet touristique autour des Maisons afro-brésiliennes au Togo. Aussi, il est sur d’autres projets sont en cours, notamment concernant l’Hôtel de la Paix.
La culture togolaise délaissée
Avec 20 ans d’expériences dans le domaine culturel, le Dalton de la culture togolaise est bien placé pour affirmer que la culture togolaise est quelque peu délaissée. « Le Togolais est perdu » se plaint-il, puisque la population n’arrive plus à exploiter sa propre culture. Comme exemple, peu de gens retournent régulièrement dans leurs villages, maitrisent quelques instruments de leur localité ou danses traditionnelles, contrairement aux populations des pays voisins comme le Bénin, le Burkina ou le Ghana, voire au Sahel.
Il en est de même pour nos habillements et nos préférences musicales. La principale raison de cet éloignement, dénonce-t-il, est la religion importée qui peint en noir notre culture. Et cet abandon, d’Alexandre le situe après les années 1992 jusqu’à nos jours. Avant cette période, il y avait des places publiques dans les quartiers où les week-ends les groupes folkloriques organisaient des séances de danses traditionnelles de différentes origines du Togo. Ce qui rapprochait les populations de leur culture. C’était pareil dans les écoles lors des semaines culturelles. Aujourd’hui, tout ceci est abandonné au profit de la culture importée.
Pour y remédier, d’Alexandre exhorte le gouvernement à rééduquer la population, en s’appuyant sur les acteurs culturels.
Doit mieux faire
La politique culturelle mise en place par le gouvernement togolais fait évoluer le secteur, à petit pas, mais il reste beaucoup à faire, estime l’artiste. Le plus gros challenge, c’est de permettre à des passionnés de la chose de la conduire. Il faut des gens qui connaissent la culture du Togo et par-dessus tout aiment leur pays. Si Kokou d’Alexandre évoque la connaissance, c’est parce que la culture a ses propres règles qu’il faut connaitre et suivre et non le faire de la manière que l’on juge meilleur. Il s’agit des règles ancestrales qu’il faut suivre pour pouvoir respecter la culture et réussir à la revaloriser.
Dans la peau d’un ministre de la culture, Kokou d’Alexandre a révélé les décisions qu’il prendrait. Il s’agit de créer une communauté de toutes les musiques traditionnelles togolaises, à travers la création de groupes folkloriques dans chaque région du pays. Ensuite, il faudra remettre au goût du jour les rites traditionnels pour les faire comprendre de tous les Togolais. La culture s’en trouvera forcément impactée positivement et va inéluctablement se répercuter sur le tourisme à l’effet de créer une manne économique pour le pays.
Des exemples concrets : la mise en valeur des maisons afro-brésiliennes, qui ont une architecture atypique, va créer des sources de revenus aux personnes qui habitent ces maisons aujourd’hui. Le gouvernement met en valeur les capacités touristiques de la ville de Kpalimé, ce qui est une bonne chose. Ces mêmes actions peuvent être faites pour les autres villes notamment la capitale. Il faut, de ce fait, répertorier les sites touristiques de Lomé et les mettre en valeur.
La cuisine peut aussi être un élément de branding pour le pays. C’est l’exemple de l’activité Véyi Party, autour du met local haricot, organisé à la Case des Dalton. Autour de cette dégustation est organisée une soirée dansante à la traditionnelle. La Case met également en valeur des mets faits à base de fonio. D’autres évènements autour du met local Khom, sont organisés au Togo. Pour Kokou, il faut donner plus de visibilité pour faire connaitre ces mets à l’extérieur du pays.
Les fêtes traditionnelles sont aussi un atout à booster. L’artiste propose d’investir dans la communication autour de ces fêtes. Déjà, les valoriser aux yeux des Togolais, comme cela a été le cas pour la fête Évala de cette année. Il faut donner l’envie au Togolais de prendre part à ces fêtes et mettre à leur disposition des moyens comme le transport à des coûts abordables. L’adhésion des Togolais à ces différentes festivités fera retentir l’écho de ces fêtes. Ensuite, il faut miser sur la communication vers l’extérieur pour amplifier cet écho et attirer plus de touristes. Ceci va donner un boom à l’économie dans ces différentes localités où ces célébrations s’organisent.
Pour le moment, les touristes ne participent pas vraiment à nos fêtes traditionnelles, ni ne visitent assez nos sites touristiques. La plateforme qui répertorie les sites touristiques existant au Togo doit ratisser large. L’exemple d’Aného est saisissant, car la ville regorge de plusieurs lieux à visiter, comme d’autres villes, et il faut y associer les acteurs culturels pour mieux en faire la promotion. Kokou d’Alexandre est déjà engagé dans ce combat qui s’avère ardu, à cause de l’étendue du champ à labourer et fait appel à plus d’ouvriers. Ainsi, ce combat nécessite un investissement approprié dans les promoteurs culturels, qui pour le moment sont plus financés par des fonds étrangers, insuffisants d’ailleurs.
La culture, soubassement de tout développement
« Aucun peuple ne peut se développer sans sa culture, sa base ». La vision de Kokou d’Alexandre est de contribuer à ce développement en faisant de la Case des Dalton, un centre culturel de référence au Togo. Pour cela, il appelle les autorités à soutenir le centre, notamment en matériels de sonorisation de la scène, l’installation d’un mini-musée consacré à la cuture togolaise : l’histoire du Togo de 1909 à 1998 en photos, les livres historiques sur le Togo, une exposition sur la base des documents dont dispose déjà l’artiste, pour redonner la mémoire perdue du pays, au togolais contemporain.
Au-delà, Kokou d’Alexandre veut voir la culture togolaise rayonner à l’extérieur. Que l’identité culturelle du Togo soit reconnue partout ailleurs. Pour arriver à cet idéal, il met déjà sa contribution, au-delà de la case, à travers son style vestimentaire (collier, bracelet) traditionnel avec lequel il traverse nos frontières et pour lequel il est souvent comparé à un indien voire un Massaï. Toute la fierté est alors pour lui de dire qu’il est Togolais. Aussi, invite-t-il les Togolais à venir s’imprégner de notre culture dans la « Rue » d’où on peut tirer beaucoup de réponses à certaines de nos quêtes comme une identité musicale propre à nos artistes.