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Togo/ Tambours parlants: Entre rites funéraires et mémoires vivantes

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Togo/ Tambours parlants: Entre rites funéraires et mémoires vivantes

Dans les sociétés traditionnelles d’Afrique de l’Ouest, les tambours ne sont pas de simples instruments de musique. Ils sont des voix, des messagers, des porteurs d’histoire. Au Togo, plusieurs variantes de tambours parlants perpétuent cette tradition millénaire, chacune avec ses spécificités culturelles, ses usages et ses symboles. Entre le Tama, le Vou Gan et la danse Tawougan, ces percussions racontent, chacune à leur manière, le lien indéfectible entre les vivants et leurs ancêtres.

Le Tama : le tambour qui parle et transmet

Les Batammariba, dont le nom Le Tama, ou «talking drum», est sans doute le plus célèbre des tambours parlants d’Afrique de l’Ouest. Né au 13e siècle, il a traversé les empires du Mali et du Sénégal avant de s’enraciner chez les Éwé et les Mina du Togo.
Contrairement aux tambours funéraires comme le Vou Gan ou la danse Tawougan, le Tama s’est d’abord imposé comme un outil de communication à distance. Capable d’imiter les intonations de la voix humaine, il servait à transmettre des messages codés entre villages, à annoncer des décisions royales ou encore à rythmer des cérémonies d’intronisation.

Mais au-delà de son rôle informatif, le Tama est aussi un gardien de la mémoire collective.
Il accompagne les chants de louange, raconte les exploits des ancêtres, célèbre les mariages et les funérailles. Lors des fêtes villageoises, ses battements, précis et modulés, portent les récits d’une communauté, faisant de chaque performance un acte de transmission culturelle. Aujourd’hui encore, dans les localités d’Aného, Glidji ou Lomé, le Tama résonne comme un écho vivant des traditions ancestrales.

Le Vou Gan : le tambour des notables et des funérailles royales

Si le Tama parle pour informer et chanter les vivants, le Vou Gan, lui, s’adresse aux ancêtres. Né au 17e siècle dans les communautés Éwé et Guin, ce tambour sacré est au cœur des cérémonies funéraires des notables. Contrairement au Tama qui est souvent porté sous l’aisselle, le Vou Gan est disposé au sol ou porté par des personnes lors des processions, et il se distingue par sa structure trinitaire : un grand tambour central (le père) et deux plus petits (les jumeaux).

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Le Vou Gan est bien plus qu’un instrument : il est un acteur central d’un rituel théâtralisé
où chaque battement dialogue avec le monde invisible. Le joueur principal, initié et désigné à vie, entame une conversation codée avec les notables présents, saluant leur arrivée et rappelant leur rang. La danse qui accompagne ce rituel est tout aussi codifiée : gestes d’humilité, rondes d’allégeance, pas crescendo… Le Vou Gan n’accompagne pas la danse, il la dirige, il la raconte.

La danse Tawougan : le poids du tambour, le poids de l’héritage

À l’opposé du Vou Gan, qui mobilise plusieurs joueurs et notables, la danse Tawougan met en scène un acteur unique : le fils aîné. Originaire des communautés Ouatchi du sud-est Togo, cette danse funéraire symbolise la transmission du fardeau familial après le décès du père. Le fils aîné porte sur sa tête un tambour de 60 kg, qu’il transporte de la maison paternelle à la place publique, accompagné d’un batteur.

Si le Tama sert à parler et le Vou Gan à honorer les chefs, le Tawougan, lui, est un rite d’affirmation personnelle et familiale. À travers des pas codifiés, le danseur retrace la vie de son père, racontant ses œuvres et ses valeurs. Le poids du tambour sur sa tête symbolise le poids de la responsabilité qu’il hérite désormais. Ici, le tambour ne parle pas directement, mais il résonne à travers les pas, les souffles, la posture du danseur.

Mémoire, identité et transmission

Qu’ils soient portés à l’épaule, frappés au sol ou hissés sur la tête, le Tama, le Vou Gan et la danse Tawougan partagent une vocation commune : celle de transmettre. Chacun à leur manière, ils relient le présent au passé, les vivants aux ancêtres, le visible à l’invisible. Contrairement au Tama qui s’est ouvert à diverses fonctions sociales (mariages, intronisations, cérémonies Vaudou), le Vou Gan et le Tawougan restent intimement liés au rituel funéraire et à la mémoire des notables.

Mais tous trois rappellent une chose essentielle : dans les cultures togolaises, le tambour n’est jamais un simple instrument. Il est une voix, un gardien, un passeur d’histoires Dans un monde où les traditions se fragilisent face à la modernité, ces tambours continuent de battre, portés par des familles de griots et d’initiés, conscients que derrière chaque frappe se cache une part de l’âme collective.

À chaque cérémonie, c’est une leçon d’histoire vivante qui se joue, un rappel vibrant que l’identité culturelle n’a de force que si elle continue de se raconter

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